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CHAPELLE DU PRECIEUX SANG
22 décembre 2006

La Lanterne, un hebdomadaire qui parut pendant 27 semaines (septembre 1867 à mars 1868),

Variétés

Si vous aimez à entendre causer morue salée et hareng saur, allez à Fécamp. Dix fois sur onze la conversation des habitants roule sur ce sujet intéressant. Mais Fécamp a plus d’une corde à sa lyre, et quand on a parlé morue, on se recueille pour dire au voyageur l’histoire du gant imbibé du précieux sang de Notre-Seigneur, et que l’église de la Trinité, reste de la célèbre abbaye de cette ville, a pu conserver intact après tant de bouleversements accomplis.

Ah! ce n’est pas la moins merveilleuse des légendes que celle-là et j’entends encore la voix convaincue de l’honnête pèlerin qui me la conta.

          Nous devons, me dit-il, le précieux sang qui fait la fortune de l’église de la Trinité à un disciple de Jésus, nommé Joseph d’Arimathie, et dont vous avez sans doute entendu parler.

          Je ne connais que lui.

          Eh bien! Joseph d’Arimathie, qui portait des gants, eut la bonne pensée d’en imprégner un du sang de notre divin rédempteur. Naturellement il conserva précieusement cette relique sacrée. Mais se sentant sur le point de mourir, il la légua à son neveu Isaac. Isaac, quoique juif, avait des sentiments chrétiens. Il conserva le gant de son oncle, et pour le soustraire aux Romains qui le recherchaient avec rage, il l’enferma dans une boîte de plomb. Ensuite il alla placer cette boîte dans le tronc d’un figuier. Puis il abattit l’arbre et le poussa à la mer. Les vents et le courant portèrent jusque sur la côte de Fécamp cette souche bénie et le gant fut ainsi sauvé et rendu à la dévotion des chrétiens.

          Mais comment sut-on que c’était là le gant de Joseph d’Arimathie, et même que ce gant existait?

          Par un miracle, monsieur.

          Vous m’en direz tant!

          Ce furent les enfants d’un certain Bozo qui, en pêchant des crevettes, découvrirent le figuier. Ils le portèrent à leur père, qui le mit sur un char pour le brûler comme une vulgaire bûche. Mais le char se brisa à l’endroit même où s’élève aujourd’hui l’église de la Trinité.

À la vue du chariot brisé un pèlerin s’écria: «Cette souche contient le précieux sang de Notre-Seigneur, c’est ici qu’il doit être conservé à la postérité. »

          Comment avait-il pu deviner ce mystère, ce pèlerin inspiré?

          Voilà bien le miracle. Mais il y en a un second et plus étonnant que le premier.

          Bravo! voyons le second miracle.

          Le duc Richard avait fait rebâtir l’abbaye de Fécamp en l’honneur de la précieuse relique. Le jour de la dédicace de l’église, savez-vous ce qui apparut?

          Non, mais je brûle de l’apprendre.

          Un ange de six pieds de haut.

          Quel gaillard!

          Cet ange magnifique tenait dans sa main le gant, qu’il déposa sur l’autel. Puis il disparut, laissant son pied imprimé sur une pierre. Il n’y avait plus à douter de l’authenticité de la relique, et personne n’en douta plus.

Les pèlerins qui vont chaque année se prosterner devant le gant de Joseph d’Arimathie peuvent être évalués à vingt mille. Par la même occasion, ils boivent de l’eau d’une fontaine appelée «Fontaine du précieux sang », et qui se trouve dans la cour de la maison portant le no. 10 de la rue de l’Aumône. Cette fontaine, propriété particulière, rapporte autant que les vignobles de Château-Margaux. Cette petite fiole d’eau est payée dix centimes par le croyant, et les fidèles en ingurgitent plus de dix mille litres le seul jour du grand pèlerinage. « Le succès comme vente de l’eau de la source du précieux sang, nous dit M. Conty dans son Guide des côtes de Normandie, a donné l’idée à un propriétaire voisin de faire concurrence au premier vendeur, en prétendant que c’était dans son champ et non dans celui de son voisin qu’avait été trouvée la relique. Quelle est la vraie source ? Faut-il boire aux deux pour faire un pèlerinage efficace? Je ne puis vous renseigner à cet égard.» On parle d’un procès entre les deux propriétaires, dont l’un a bravement appendu à la porte de sa petite Salette l’écriteau suivant:

Prairie où a échoué la souche du figuier contenant le précieux sang de N. S. Jésus-Christ.

Ne trouvez-vous pas qu’il est grandement temps de décréter l’instruction élémentaire obligatoire pour tous les Français?

[Le Canadien Arthur Bues (1840-1901) a été journaliste et a publié de nombreux ouvrages, dont Chroniques, humeur et caprices et Petites chroniques pour 1877. Il a, entre autres, fondé un journal éphémère mais qui a reçu un certain écho, La Lanterne, dans lequel il donnait libre cours à ses idées républicaines et anticléricales.

La Lanterne, un hebdomadaire qui parut pendant 27 semaines (septembre 1867 à mars 1868), était, selon Marcel-A. Gagnon, qui publia en 1964 une anthologie d’Arthur Buies, « le plus irrévérencieux et le plus humoristique des journaux du siècle dernier ». L’article ci-dessus est extrait du n°7.]

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Commentaires
P
mon numéro 0607665032
F
Bonjour je cherche à vous joindre.
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